Des centaines de squelette de fossiles de bébés hyènes des cavernes découvertes dans une grotte wallonne témoignent des pressions écologiques subies il y a environ 45 000 ans

02/02/2022
Une squelette d'un petit d'hyène (composé d'os de plusieurs individus) provenant de la grotte Marie-Jeanne
Une squelette d'un petit d'hyène (composé d'os de plusieurs individus) provenant de la grotte Marie-Jeanne (Photo : Thierry Hubin, IRSNB)

Des chercheurs belges ont redécouvert dans les collections de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique plus de 300 squelettes de hyènes des cavernes juvéniles. Ils proviennent du site de la Caverne Marie-Jeanne près de Dinant, dans les Ardennes belges. Il y a quelques 45 000 ans, en pleine période glaciaire, ce site a été utilisé comme repaire de carnivores où l’hyène venait se réfugier pour y mettre bas. Le taux de mortalité exceptionnel de ces hyénons montrent que les frères et sœurs s'entretuaient pour survivre en période de pénurie alimentaire. Les pressions écologiques subies par ces populations devaient être très importantes à cette époque.

Des mandibules de hyènes des cavernes juvéniles provenant de la Caverne Marie-Jeanne. (Photo : IRSNB)
Des mandibules de hyènes des cavernes juvéniles provenant de la Caverne Marie-Jeanne. (Photo : IRSNB)

 

En réexaminant une collection paléontologique issue de fouilles datant de 1943, une équipe de chercheurs de l’IRSNB croyaient avoir affaire avec un autre repaire de carnivores préhistoriques, comme il en existe beaucoup datant du Paléolithique. Parmi les 15 espèces animales retrouvées dans cet ensemble vieux de 43 000 à 47 000 ans, ils ont pu identifier le mammouth, le rhinocéros laineux, le bison, le cheval, et aussi les grands prédateurs tels que le loup, l’ours, le lion, et surtout l’hyène des cavernes.

Mais les scientifiques ont rapidement noté le caractère unique de ce matériel en remarquant la présence exceptionnelle de fossiles de hyénons. En effet, pas moins de 323 squelettes de hyènes juvéniles ont été identifiés dans cette collection, la plupart étant âgées de quelques semaines à peine. Pour Elodie-Laure Jimenez, auteure principale de cette étude et archéologue à l’IRSNB et à l’université d’Aberdeen (UK), ces fossiles constituent une découverte importante. « Si les restes fossiles d’hyène des cavernes sont fréquemment retrouvés en contexte préhistorique en Europe, c’est en revanche la première fois que nous retrouvons une telle concentration de nouveau-nés de cette espèce. C’est un phénomène qui n’avait jamais été identifié avant, ni sur le registre fossile, ni chez l’hyène moderne, d’ailleurs. C’est vraiment très intriguant. »

Comportements de l’hyène à travers le temps

L’hyène des cavernes est une sous-espèce disparue de Crocuta crocuta, l’hyène tachetée actuelle vivant en Afrique sub-saharienne. Nous savons aujourd’hui que les femelles hyène s’isolent de leur clan pour mettre bas, afin de se mettre à l’abri d’interactions malicieuses avec leurs congénères qui pourraient porter préjudice à la vie des jeunes. Une fois que les hyénons deviennent un peu plus forts, vers 4-8 semaines, les mères reviennent alors au sein du clan avec leur portée souvent composée de deux ou trois petits.

 

« Le fait qu’il n’y ait que très peu d’individus adultes à Caverne Marie-Jeanne et que la plupart des hyènes ne soient âgés que de quelques semaines indique que ce site n’était pas là où le clan vivait. En revanche, la grotte a régulièrement été utilisée comme tanière natale par les hyènes des cavernes, et ce durant de nombreuses générations », précise la scientifique. « Cette découverte est exceptionnelle car nous ne connaissions que très peu des comportements sociaux et reproducteurs de cette espèce clé des écosystèmes paléolithiques ».

Petits meurtres en famille

Au vu du nombre de hyénons et surtout de l’homogénéité de leur âge de mort, la question de la cause de cette mortalité se pose alors. Les chercheurs suggèrent que ceci serait le fruit d’un phénomène fréquemment rencontré dans la nature : le caïnisme (ou fratricide), qui qualifie le comportement agressif des nouveau-nés dominants d’une portée envers ses frères et sœurs afin de s’approprier les ressources de la mère. Ce harcèlement physique conduit souvent à la mort de l’individu le plus faible. « Ils ont probablement fait cela durant des périodes de pénurie de ressources alimentaires », avance Elodie-Laure Jimenez. « Dans un contexte de pressions écologiques importantes, la mère devait voyager de longues distances pour trouver des proies et laissait alors ses petits seuls dans la tanière pendant de longues heures, voire jours. C’est typiquement dans ce genre de contexte que le caïnisme se manifeste le plus. »

 

Durant cette période du dernier Âge de Glace, des conditions climatiques subarctiques ont frappé l'Europe du Nord et de nombreuses espèces ont dû adapter leur comportement pour survivre. Dans les latitudes septentrionales (Belgique, sud de l’Angleterre et "Doggerland", les vastes plaines aujourd'hui immergées dans la Manche), nos ancêtres les Néandertaliens dépendaient largement des méga-herbivores tels que le bison, le rhinocéros ou le mammouth pour obtenir suffisamment de graisse, protéines et matériaux pour se vêtir. Ils étaient donc parfois en forte concurrence avec d'autres grands prédateurs comme les hyènes des cavernes et devaient adapter leurs stratégies en migrant sur de longues distances ou en chassant différentes espèces.

L’Homme vs les carnivores

Décrite pour la première fois en 1823 par le naturaliste allemand G.A. Goldfuss, l’hyène des cavernes a peuplé l’ensemble de l’Eurasie jusqu’à sa disparition en Sibérie, il y a environ 14 000 ans. Due à sa mauvaise réputation d’animal moqueur à l’allure ingrate, l’hyène est un animal peu représenté et est peu présent dans l’imaginaire collectif. Elle était pourtant un grand carnivore essentiel des écosystèmes préhistoriques eurasiatiques dans lequel elle jouait un rôle essentiel dans le maintien de leur équilibre, au même titre que son principal compétiteur, l’Homme de Néanderthal.

 

Les nouvelles connaissances générées par cette découverte unique et les analyses en cours nous permettront de mieux comprendre la dynamique entre les espèces humaines préhistoriques et les grands carnivores en Europe du Nord, ainsi que la manière dont ils se sont adaptés aux variations climatiques de la période glaciaire. Il est important de noter que les Néandertaliens ont disparu de nos latitudes septentrionales quelques millénaires plus tard - il y a environ 40 000 ans – peu après l'arrivée d'Homo sapiens en Europe occidentale. La combinaison de diverses pressions écologiques a ensuite déclenché l'extinction de masse du Quaternaire (entre il y a 35 000 et 10 000 d’années), au cours de laquelle la plupart des mammifères pesant plus de 40 kg ont disparu.
 

 

Cette étude vient d’être publiée dans la revue scientifique Journal of Quaternary Science.

Actualités