Une mâchoire cartilagineuse de requin vieille de 360 millions d’années découverte dans les Ardennes belges

16/11/2021
Scan de la mandibule du requin fossilisé.
Scan de la mandibule du requin fossilisé.

Une équipe de chercheurs, dont Sébastien Olive, paléontologue à l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB) a pu étudier une mâchoire de requin vieille de 360 millions d’années trouvée dans les Ardennes belges, une trouvaille exceptionnelle.

 

Les scientifiques menant cette étude ont décrit la plus ancienne occurrence de restes cartilagineux de requin en Belgique et dans toute l’Europe continentale : il s’agit de la mâchoire droite d’un requin cténacanthe provenant d’une carrière à Comblain-au-Pont en Wallonie. Pour la première fois, les paléontologues ont pu étudier une mâchoire, au lieu des habituelles dents ou écailles.

 

Cette mandibule a été trouvée dans un bloc isolé de grès dur, difficile à replacer dans la séquence stratigraphique. En effet, ce fossile a été donné à l’IRSNB en 2016 par des chercheurs hollandais après sa découverte il y a plus de vingt ans. L’étude a donc dû se faire ex situ. « Mais on sait que la carrière dans la vallée de l’Ourthe présente des couches stratigraphiques datant du Famennien supérieur » dit Sébastien Olive. « On sait donc que ce requin vivait il y a environ 360 millions d’années dans un environnement marin franc. »

Défi de l’identification

L’état de préservation de ce fossile, mais aussi l’absence de dents qui pourraient soutenir la recherche empêchent l’identification précise de ce spécimen. En effet, la taxonomie des requins de cette époque est surtout connue grâce aux dents, écailles ou épines. La mandibule, d’une taille de 22,5cm de long pour 8,5cm de haut permet d’estimer que l’individu mesurait environ 1,8m de long. Il se nourrissait de petits poissons et d’autres animaux à corps mou.

Afin de tirer le maximum d’information de la mandibule, les chercheurs ont utilisé des rayons X qui ont permis de construire un modèle 3D de la mandibule et de distinguer l’arrière du fossile, jusque-là caché dans la roche. C’est en comparant cette représentation avec d’autres spécimens tels que Cladodus elegans, Heslerodus divergens ou Ctenacanthus sp. que ce requin a été assigné à la famille des cténacanthidés, des requins qui pouvaient mesurer jusqu’à 2,5m.

Ardennes pélagiques

Shark vs Placoderm (Drawing: Entelognathus, Wikimedia Commons)
Shark vs Placoderm (Drawing: Entelognathus, Wikimedia Commons)

A l’époque de ce requin, au Dévonien supérieur, une large partie des Ardennes correspondait à un environnement marin franc dans lequel les placodermes, immenses poissons à mâchoires, dominaient. Cela rend la découverte de cette mâchoire de requin encore plus rare car les requins ne pouvaient pas pleinement proliférer, étant des proies faciles our les placodermes qui, eux, pouvaient mesurer jusqu’à 8m. Ce n’est qu’au Carbonifère (il y a entre 360 et 300 millions d’années), après l’extinction des placodermes, que les requins ont connu une extraordinaire diversification.

La présence de requins dans le Dévonien belge était déjà connue grâce aux nombreuses dents qui y ont été retrouvées : en effet, celles-ci, constituées de dentine et d’émailloïde, se conservent mieux dans les sédiments que le cartilage dont est faite la mâchoire, qui est une matière organique ; ce qui rend la découverte d’autant plus intéressante.

 

L’exceptionnelle conservation de cette mandibule reste inexplicable : les sédiments dans lesquelles elle a été retrouvée (principalement du grès arkosique) ne sont habituellement pas propices à la conservation de cartilage. Celui-ci se dégrade normalement rapidement ou est consommé par des charognards. « Il s’agit donc là d’un spécimen exceptionnel, qui ouvre peut-être la voie à d’autres découvertes dans cette région », espère Sébastien Olive.

 

L’article est publié dans la revue scientifique Journal of Vertebrate Paleontology.

Texte écrit par Jeanne Zimmermann-Muller

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