À la racine des mammifères modernes

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Gisement de Rivecourt le long de l'Oise (carrière Lafarge) lors des fouilles realisées par les chercheurs belges et français
03/02/2014
À la racine des mammifères modernes
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Stagiaire Communication

Les recherches menées durant 3 ans par une équipe de paléontologues de notre Institut, en collaboration avec 13 autres instituts belges et français, ont permis de mettre au jour un nouveau gisement à mammifères fossiles, à Rivecourt, dans le Bassin de Paris, ainsi qu’une nouvelle espèce de mammifère carnivore dans le gisement belge de Dormaal, en Flandre. Ces travaux, qui ont été publiés respectivement dans les revues internationales PloS ONE etJournal of Vertebrate Paleontology, redistribuent les cartes de notre savoir sur l’apparition des premiers mammifères modernes, notamment celles des rongeurs et des carnivores.

 

Depuis plusieurs années, Thierry Smith et ses collaborateurs de l’IRSNB se penchent sur l’histoire des mammifères. Les chercheurs s’intéressent au Paléogène, la période qui regroupe les époques Paléocène (-66 à -56 millions d’années), Éocène (-56 à -33,9 Ma) et Oligocène (-33,9 à -23,03 Ma). Elle les intéresse car elle correspond à la période dite de « radiation » des mammifères : les dinosaures disparus, les mammifères se sont diversifiés et se sont adaptés aux modes de vie que nous leur connaissons actuellement. Mais comment cela s’est-il fait ?

Une histoire en plusieurs actes

Les paléontologues séparent les époques en fonction des faunes et des flores qu’ils trouvent dans les gisements paléontologiques. Les séparations entre les différentes époques reposent, par exemple, sur des grandes phases d’extinction. Mais d’autres se caractérisent par l’apparition de nouveaux groupes. Et c’est le cas pour la limite Paléocène-Éocène (il y a 56 Ma). Celle-ci est passionnante pour nos paléomammalogistes car elle se traduit par l’apparition au même moment, en Europe, en Asie et en Amérique du Nord, des mammifères dits « modernes » : rongeurs, carnivores, primates, artiodactyles et périssodactyles. Ces apparitions sont notamment connues grâce au site belge de Dormaal.

Mais, elles ne sont pas le seul événement marquant s’étant produit il y a 56 millions d’années. En effet, les apparitions semblent liées à un fort réchauffement climatique : le Paleocene-Eocene Thermal Maximum (PETM). On estime que c’est le plus fort réchauffement climatique qu’ont connu les mammifères – la température, déjà élevée à l’époque, aurait augmenté de 5 à 8°C durant 200 000 ans !

La localité française de Rivecourt récemment découverte est très riche en restes de vertébrés (mammifères, reptiles, oiseaux) et de plantes (bois, fleurs, fruits, graines). Plus ancienne d’environ 500 000 ans que Dormaal, Rivecourt se situe de l’autre côté de la limite Paléocène-Éocène. Ainsi, la comparaison de ces deux gisement, éloignés de 300 km mais séparés par un demi-million d’années, permet de comprendre comment les mammifères « modernes » se sont dispersés sur la planète, mais également quelles ont été les répercussions du réchauffement climatique sur leurs évolutions.

La faune mammalienne de Rivecourt se situe dans la droite ligne des autres localités paléocènes connues en Europe.

Nos paléomammalogistes ont ainsi trouvé des espèces de mammifères archaïques typiques de cette époque tels les condylarthres et les plesiadapiformes (animaux aujourd’hui disparus). Les découvertes d’une incisive de rongeur – caractéristiques car elles sont à croissance continue – et d’une mandibule de carnivore furent plus surprenantes. Elles indiquent que les mammifères « modernes » sont apparus en deux étapes en Europe : les carnivores et les rongeurs sont arrivés à la fin du Paléocène, tandis que les primates, périssodactyles et artiodactyles n’ont posé leurs pattes en Europe que quelques centaines de milliers d’années plus tard !

Si les gisements français et belges permettent de mieux cerner l’histoire des mammifères « modernes » en Europe, la question de leur origine demeure toujours en suspens. L’apparition brusque de ces premières espèces modernes permet d’envisager une migration de ces groupes en Europe. Mais en provenance d’où ? D’une ou de plusieurs régions ? Voilà le type de questions auxquelles s’attaquent nos paléontologues actuellement.

Quand l’ancêtre des tigres et des ours vivait dans les arbres

Quand nous pensons à des carnivores, nous imaginons des lions, des tigres, des ours, nos compagnons félins et canins. Mais comment étaient-ils et comment vivaient-ils il y a 56 millions d’années. Si le gisement de Rivecourt a permis de mettre au jour la plus ancienne mandibule de carnivore – titre codétenu avec des fossiles nord-américains –, le gisement de Dormaal a permis de retrouver plus de 250 dents, des mandibules ainsi que les os de la cheville (astragale et calcanéum) du carnivore le plus primitif connu à ce jour. La majeure partie de ces fossiles proviennent de fouilles réalisées en 1989 et 1990 par Richard Smith, l’un des collaborateurs de l’IRSNB.

Ce carnivore de petite taille – il pesait entre 500 g et 1 kg et se nourrissait vraisemblablement d’insectes et de très petits vertébrés – est bien mieux connu que ses contemporains : les dents ont permis de reconstruire sa dentition définitive, ainsi que celle de lait ; les mandibules retrouvées à Dormaal montrent que des mâles et des femelles étaient déjà différenciés à cette époque ; enfin, les os de la cheville indiquent que cet animal se déplaçait et vivait dans les arbres. Nous sommes donc bien loin de nos carnivores actuels.

Cet animal a été nommé Dormaalocyon (« le chien de Dormaal ») en l’honneur de son site de découverte. Mais à quoi ressemblait Dormaal il y a 56 millions d’années ? Ainsi que nous l’avons indiqué, il a fait très chaud et humide à cette époque. Le couvert forestier, notamment de type tropical, s’est largement étendu dans l’hémisphère nord – on a même retrouvé des restes de crocodiles au Groenland dans des gisements datant du début de l’Éocène ! Cette extension des domaines forestiers tropicaux a favorisé les animaux arboricoles – elle explique par exemple la présence de petits primates à Dormaal, les plus anciens d’Europe – et a notamment permis à Dormaalocyon de migrer d’Europe vers l’Amérique du Nord, où l’on retrouve, au sein de sa descendance, les premiers carnivores de type canins (chiens, ours…).

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