Des biologistes de notre Institut ont récemment décrit de nouvelles espèces du parc national de Nui Chua au Vietnam : deux phasmes, deux mantes religieuses, une sauterelle et un gecko. Le comportement de l’un des phasmes est particulièrement singulier.
Nos spécialistes des insectes Jérôme Constant et Joachim Bresseel ont exploré le parc national Nui Chua au Vietnam en 2014 à la recherche d’espèces inconnues. La zone montagneuse de 24 500 hectares le long de la côte sud du centre du Vietnam présente deux aspects différents : la partie supérieure de la montagne – à partir de 400 mètres d’altitude – est humide, alors que la zone inférieure est sèche et parsemée d’arbres et d’arbustes épineux. Ce microclimat sec est unique au Vietnam et isole la forêt tropicale des sommets. Nui Chua a ainsi développé une biodiversité unique et constitue un « hotspot » pour les taxonomistes.
De retour de leur expédition, nos biologistes ont commencé le minutieux travail d’identification des spécimens et de comparaison avec les espèces déjà décrites. Résultat : deux nouvelles espèces de phasmes (l’une appartenant à un nouveau genre), deux nouvelles mantes religieuses (là encore l’une représente un nouveau genre) et une nouvelle sauterelle. Une nouvelle espèce de gecko provenant du même endroit a également été décrite à l’Institut. Et ce n'est qu’un début.
Des mâles pédophiles
Le nouveau genre de phasmes a été baptisé Nuichua, en l’honneur du parc national, et la seule espèce de ce genre connue pour le moment a été nommée Nuichua rabaeyae, du nom de l’entomologiste amateur Kristien Rabaey. Elle était la seule à posséder quelques œufs de l’espèce que Joachim Bresseel lui avait confiés peu avant l’incendie dans sa maison qui a détruit son élevage de phasmes. Fort heureusement, ces œufs ont pu se développer pour donner des insectes adultes pouvant être décrits scientifiquement.
Comparés aux femelles, les mâles sont étonnamment plus petits que les mâles des genres apparentés. Cela pourrait s’expliquer par leur comportement lors de l’accouplement, selon Constant et Bresseel. Première étape du raisonnement : les mâles deviennent adultes plus rapidement que les femelles. Deuxième étape : les mâles devenus adultes très rapidement sont plus petits que ceux dont la maturité est plus lente. Troisièmement, dès que les mâles sont adultes, ils s’approprient une femelle, même si elle n’a pas encore atteint sa taille adulte. Ils s’accrochent fermement sur son dos et attendent ensuite qu’elle ait atteint sa maturité pour s’accoupler immédiatement avec elle. Parce qu'ils deviennent adultes plus tôt, les petits mâles peuvent s’approprier une femelle plus tôt : premier arrivé, premier servi ! « Les petits mâles ont donc un gros avantage », dit Constant. « Dans cette espèce, on ne voit presque que de petits mâles. Comparés aux femelles, ils ressemblent à des gnomes. » Dans les espèces de phasmes apparentées sexuellement, on n’observe pas ce « comportement pédophile », et mâles et femelles ont à peu près la même taille.
Constant et Bresseel ont aussi décrit une nouvelle espèce de phasme de la même région qui présente des crêtes sur la tête : Orestes krijnsi, dédiée à l’entomologiste amateur Rob Krijns, qui a le premier élevé cette espèce. « Les naturalistes amateurs apportent une réelle valeur ajoutée à la biologie », déclare Jérôme Constant. « Ils se portent volontaires pour élever de nouvelles espèces, permettant aux scientifiques d'étudier chaque étape du développement et les comportements particuliers. »
Mantes religieuses
L’exploration du parc national de Nui Chua a également livré un nouveau genre de mante religieuse : Phasmomantella. La nouvelle espèce, Phasmomantella nuichuana, est d'un vert éclatant et les femelles, avec leurs 10 cm, sont parmi les plus grandes mantes religieuses d'Asie du Sud-Est. L’autre nouvelle espèce, Euchomenella adwinae, est étroitement apparentée à Phasmomantella, mais elle est plus petite et se camoufle parmi les branches grâce à sa couleur brune. Ces espèces nouvellement découvertes, décrites par notre collègue et entomologiste Xavier Vermeersch, ne sont connues que du parc de Nui Chua et seraient donc très vulnérables à une éventuelle déforestation locale et à la perturbation de l’habitat. Bresseel et Vermeersch ont également décrit une nouvelle espèce de sauterelle, Olcinia nuichuana, très difficile à repérer dans la nature à cause de sa parfaite ressemblance avec l’écorce des troncs sur lesquels elle vit.
Un nouveau gecko
Enfin, notre spécialiste des vertébrés et conservateur, Olivier Pauwels, a décrit un nouveau petit gecko vivant dans la partie la plus sèche du parc naturel : Cyrtodactylus sangi (ou Cyrtodactyle de Nui Chua), nommé en l’honneur de l'herpétologiste vietnamien Nguyen Ngoc Sang. L'espèce est potentiellement menacée par la déforestation illégale. Les efforts visant à préserver la biodiversité unique du parc Nui Chua (et au-delà) restent nécessaires pour protéger les nombreuses espèces de plantes et d'animaux uniques qui y vivent et assurer leur avenir.
Ces nouvelles espèces ne sont que la partie visible de l'iceberg. Nos collègues étudient actuellement beaucoup d'autres spécimens de ce parc et d'autres parcs vietnamiens à la recherche d'espèces encore inconnues de la Science.