Des chercheurs ont converti les odeurs que les insectes diffusent pour se protéger de leurs prédateurs en sons. Ils ont pu ainsi comparer l'effet de ces odeurs sur des prédateurs à l'effet de sons sur des humains. « On a transmis les substances volatiles à un synthétiseur à l’aide d’un algorithme et les sons produits ont été testés sur des personnes », dit l’entomologiste Jean-Luc Boevé (IRSNB). « Les personnes testées ont réagi aux sons avec la même intensité que les prédateurs aux odeurs ».
Les signaux chimiques jouent un rôle crucial dans le monde des insectes, notamment comme arme défensive. Prenez les larves des tenthrèdes par exemple : elles se font régulièrement attaquer par des fourmis. Les larves tentent de les éloigner en diffusant un cocktail de produits chimiques que les fourmis ne supportent pas. De nombreuses espèces d’insectes ont des tactiques défensives semblables. Mais comment mesurer les effets de ces odeurs sur les prédateurs ?
Il existe des tests dans lesquels les fourmis sont confrontées à des substances isolées ou à une larve vivante, afin de mesurer leur réaction de fuite. Mais cela peut s’avérer difficile : il faut parfois trouver des espèces d’insectes rares sur le terrain ou les élever en labo. L’entomologiste Jean-Luc Boevé (Institut royal des Sciences naturelles de Belgique) et l’ingénieur en informatique Rudi Giot (Institut Supérieur Industriel de Bruxelles) ont choisi une alternative plus originale : la sonification.
Une substance que l’on entend
Lorsqu’on connait les substances chimiques émises par une larve et leurs concentrations, il est possible de les transformer en sons. « Prenez une petite molécule, comme l’acide acétique, qui s’évapore très rapidement », dit Boevé. « Nous l'avons associée à un son très aigu. Un son plus grave a été donné aux molécules plus grandes. D’autres caractéristiques chimiques influencent la durée du son ou son timbre. Puis, nous avons associé la concentration d’une substance au volume sonore. »
Boevé et Giot ont envoyé les paramètres chimiques à un synthétiseur et ont testé ces sons, obtenus à partir de molécules isolées ou mélangées, sur des personnes volontaires. Ils ont mesuré à quel point les personnes s’éloignaient des baffles. Certaines personnes ont décrit des sons comme désagréables ou effrayants. Quelques-uns de ces sons pourraient en effet servir de bande son à un film d’horreur. Boevé : « A notre grand étonnement, les tests ont montré que la réaction des humains aux sons correspondait à celle des fourmis confrontées aux odeurs. »
Les chercheurs espèrent que cette méthode pourra être complémentaire aux techniques existantes pour tester les odeurs défensives des insectes. « La sonification est d’ailleurs déjà utilisée pour reconnaître les tremblements de terre dans des données sismologiques ou pour repérer des réseaux piratés sur internet », dit Giot.
Cette étude est publiée dans la revue scientifique Patterns.
Fragment sonore (ci-dessous)
Vous entendez d’abord une version sonore de trois substances distinctes : cis,trans-dolichodial (durée : 22 secondes), benzaldéhyde (9 secondes) et heptacosane (19 secondes). Ensuite, les cocktails chimiques de trois espèces de tenthrèdes : Craesus septentrionalis (24 secondes), Nematus lucidus (22 secondes) et Nematus pavidus (22 secondes).