Le 8 juillet 2022, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a publié son nouveau Rapport d’évaluation sur l’utilisation durable des espèces sauvages. Il résume la faisabilité et les options d'utilisation durable des espèces sauvages d'algues, d'animaux, de champignons et de plantes sur terre, en eau douce et dans les océans du monde entier.
Un cinquième de la population mondiale dépend directement des espèces sauvages pour ses revenus et son alimentation. Plus de 10 000 espèces sauvages sont récoltées pour l'alimentation humaine. 2,4 milliards de personnes (1 sur 3) dépendent du bois de chauffage pour cuisiner. Ce ne sont là que quelques-uns des chiffres qui illustrent à quel point nous dépendons de notre environnement naturel, mais ils illustrent aussi la grande pression que nous exerçons sur lui. L'accélération de la crise mondiale de la biodiversité, avec un million d'espèces végétales et animales menacées d'extinction, présente également un énorme défi pour notre avenir.
Dans ce nouveau rapport d'évaluation sur l'utilisation durable des espèces sauvages, les experts résument la faisabilité et les possibilités d'utilisation durable des espèces sauvages dans le monde. Le rapport a été adopté le 7 juillet 2022 par 139 États membres lors de la 9e réunion plénière de l'IPBES, qui se déroulait à Bonn, en Allemagne (#IPBES9, 3-9 juillet). 85 experts de premier plan de plus de 50 pays y ont travaillé pendant quatre ans.
Le rapport analyse les évolutions passées, présente la situation actuelle et examine des scénarios futurs pour les espèces sauvages d'algues, d'animaux, de champignons, et de plantes, et il vise à contribuer à la définition de choix politiques et de conditions favorables à l’utilisation durable, de l'échelle nationale à l'échelle internationale.
Plus précisément, le rapport aborde les aspects suivants :
- il décrit les diverses utilisations des espèces sauvages et les pratiques qui y sont associées, notamment la pêche, la cueillette, l'exploitation forestière, l’exploitation et le prélèvement d’animaux terrestres (tels que la tonte et la chasse) et l’observation
- il explore la notion d’ « utilisation durable » et son lien avec les objectifs de développement durable des Nations Unies
- il examine les outils et les méthodes d'évaluation, de mesure et de gestion de l'utilisation durable des espèces sauvages
- il compare l'efficacité des diverses approches politiques visant à mieux réglementer l'utilisation durable des espèces sauvage
- il met en évidence les facteurs de durabilité, notamment des questions telles que la gouvernance, le commerce et les mesures d’incitation
- il documente les raisons et les personnes pour lesquelles l'utilisation durable des espèces sauvages est particulièrement importante
- il examine les relations entre l'utilisation durable des espèces sauvages et les principaux défis tels que l'utilisation des terres et le changement climatique.
- il aborde les lacunes à combler en matière de données et de connaissances pour une utilisation plus durable des espèces sauvages
Options politiques
Les décideurs politiques internationaux, nationaux, régionaux et locaux, ainsi que les conventions internationales telles que la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES), ont besoin de données sur la durabilité de l'utilisation des espèces sauvages. Le nouveau rapport y répond et s'appuie sur les évaluations précédentes de l'IPBES, notamment l'Évaluation mondiale de 2019, qui a souligné comment l'exploitation directe des espèces est l'une des principales causes des taux d'extinction élevés.
Dans le cadre de cette analyse, le rapport examine également les politiques et les outils utilisés dans divers contextes en rapport avec l'utilisation durable des espèces sauvages. Il présente sept éléments clés qui peuvent être utilisés comme leviers de changement s'ils sont transposés à l'échelle des pratiques, des régions, et des secteurs :
- Les options politiques doivent être inclusives et participatives
- Les options politiques doivent reconnaître et soutenir les multiples formes de connaissances
- Les instruments politiques doivent assurer une répartition équitable des coûts et des bénéfices
- Des politiques spécifiques au contexte sont nécessaires
- La surveillance des espèces sauvages et des pratiques reste importante
- Les instruments politiques doivent être alignés géographiquement, cohérents et conformes aux obligations internationales
- Des institutions solides sont nécessaires
L'IPBES et l'interprétation belge
IPBES est souvent décrit comme "GIEC de la biodiversité". En effet, il est l'organe scientifique et politique mondial chargé de renforcer l’interface science-politique pour la biodiversité et, par conséquent, d’assister les gouvernements dans leurs prises de décision, en leur soumettant les meilleures preuves disponibles, pour les êtres humains et la nature. En Belgique, le point focal national de l'IPBES est assuré par la Plate-forme belge pour la biodiversité, l’interface science-politique nationale belge, soutenue par BelSPO, et hébergée par BelSPO, l’IRSNB, INBO, et le DEMNA (SPW). Les activités du point focal consistent, entre autres, à faire participer les experts et les parties prenantes belges au programme de travail et aux activités de l'IPBES, et à présider la délégation belge lors des sessions plénières.
Témoignages
Dr. Luc Janssens de Bisthoven, Institut royal des Sciences naturelles de Belgique - « Avec ce résumé à l'intention des décideurs du Rapport d’évaluation thématique sur « l'utilisation durable des espèces sauvages", l'IPBES contribue une fois de plus à l'effort global pour rester à jour sur les dernières connaissances scientifiques afin d'informer les décideurs. L'évaluation est incroyablement riche en informations et elle est essentielle afin d’avoir une vision holistique, équilibrée, et inclusive de la nature, fournissant des avantages multiples et ayant sa propre valeur intrinsèque. Elle contribuera à transformer les modèles économiques actuels pour qu'ils prennent davantage en compte les coûts des externalités telles que la pollution, la dégradation de la biodiversité, les soins de santé et le changement climatique, et contribuera ainsi à construire un monde plus résilient et plus vert, plus respectueux de la vie et des limites planétaires. »
Catherine Debruyne, Service public de Wallonie - « Des milliards de personnes partout dans le monde dépendent et bénéficient de l'utilisation des espèces sauvages pour leur alimentation, leur médecine, leur énergie, leurs revenus et bien d'autres fins. Cependant, depuis 1970, l'exploitation directe de la faune sauvage constitue la principale menace sur la nature pour les écosystèmes marins et la deuxième menace la plus importante sur la nature pour les écosystèmes terrestres. Cela met en danger les bénéfices pour les populations car l'épuisement des ressources menace leurs moyens de subsistance et leur bien-être ainsi que la réalisation des objectifs sociétaux et environnementaux futurs. Cette évaluation identifie les enjeux et les opportunités pour assurer et renforcer la durabilité de l'utilisation des espèces sauvages car nous devons relever ce défi étant donné le contexte actuel qui voit une augmentation du commerce mondial. Avec ces informations à disposition, tous les acteurs, des gouvernements aux secteurs privés, à la société civile, doivent redoubler d'efforts pour éviter l'utilisation, la récolte, et le commerce non durables et illégaux d'espèces sauvages. C'est essentiel pour enrayer la perte de biodiversité et préserver la provision de services écosystémiques aux populations.»
Sophie Gryseels, Institut royal des Sciences naturelles de Belgique - « Les êtres humains sont intrinsèquement liés au monde naturel et utilisent, de façon directe ou indirecte, un large éventail d'espèces pour leur subsistance. Quant à savoir dans quelle mesure l'exploitation des populations naturelles de plantes, d'animaux et d'autres organismes est préjudiciable à la survie de l'espèce et comment cela peut également avoir un impact négatif sur les humains, est une question très compliquée. L'impact dépend fortement du taux d'exploitation, il varie indubitablement beaucoup entre les espèces et les écosystèmes concernés, et il devrait sans conteste être contrebalancé par des effets positifs pour les personnes. Les connaissances sur ce réseau complexe d’effets de l'utilisation des espèces naturelles sont assez dispersées, et nous avons grandement besoin d'une étude globale pour évaluer en profondeur la situation actuelle, informer les décideurs politiques et identifier les lacunes dans les connaissances sur lesquelles les chercheurs devraient se concentrer à l'avenir. J'attends avec impatience le rapport d'évaluation de l'utilisation durable des espèces sauvages pour acquérir des informations complètes et équilibrées sur les effets négatifs et positifs de l'exploitation des espèces naturelles. »