Lascaux, l’exposition présentée en ce moment au Musée du Cinquantenaire avec des spécimens de nos collections, permet de découvrir les célèbres peintures rupestres réalisées il y a plus de 17 000 ans. Mais que savons-nous sur le mode de vie de leurs créateurs ? Remontons dans la préhistoire en compagnie de nos spécialistes Patrick Semal et Mietje Germonpré.
Notre Muséum a apporté sa petite touche à l'exposition Lascaux présentée à Bruxelles avec quelques spécimens tout droit sortis de nos collections : un lion des cavernes, un cerf géant,un bébé mammouth et la magnifique dalle de Chaleux et ses gravures d’animaux de la dernière ère glaciaire. Mais qui étaient donc les hommes qui ont réalisé les chefs-d’œuvres rupestres de Chaleux (au sud de la province de Namur), Lascaux (en Dordogne, France) ou encore Altamira (au nord de l’Espagne) ?
« Un Homme de Lascaux se promenant au centre de Bruxelles et habillé de façon moderne n’attirerait pas le moindre regard ». Patrick Semal, conservateur en chef et paléoanthrolopologue à l’Institut, insiste sur les similitudes entre l’Homme de Cro-magnon datant du Magdalénien (il y a 10 000 à 17 000 années) et nous. « Ils sont anatomiquement modernes. Il y a des différences, comme celles entre un Aborigène australien et un Européen, mais nous appartenons à la même espèce ».
Avons-nous raison de parler d’« Hommes des cavernes » ?
« C’est une erreur de croire qu’ils habitaient des grottes. Ils n’y dormaient même pas. Il y faisait simplement trop froid. Non, c’est devant les grottes qu’ils vivaient, donc dehors. Mais ils y entraient pour en peindre les parois ».
Pourquoi se sont-ils donné la peine de peindre ces animaux gigantesques sur les parois des grottes ?
« Honnêtement, personne ne le sait vraiment. Était-ce un rituel de chasse ? Ou plutôt un rituel religieux ? Le monde souterrain et obscur de la grotte leur paraissait sans doute très mystérieux. Peut-être les peintures avaient-elles une signification spécifique, mais il se peut aussi qu’ils les aient peintes parce qu’ils trouvaient ça beau. Pourquoi construisait-on des cathédrales au Moyen-Âge ? Pourquoi les artistes font-ils de l’art ? »
Que savons-nous, en général, sur la vie des Hommes de Lascaux ?
« Ces hommes vivaient avant la révolution agricole : c’étaient donc encore des chasseurs-cueilleurs. Contrairement aux idées reçues, ils avaient plus de temps libre que nous. Ils ne consacraient que trois à quatre heures par jour à leurs besoins essentiels. Le restant de la journée, ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient : ils passaient du temps avec leur famille, ils contemplaient les étoiles ou ils s’adonnaient à l’art. Mais ils étaient évidemment beaucoup plus vulnérables que nous. Les conséquences d’une famine ou d’une sécheresse étaient beaucoup plus graves pour eux qu’elles ne le seraient pour nous. »
Leur société était-elle plus « égalitaire » que la nôtre ? Leur bien-être était-il partagé de manière plus équitable ?
« Nous n’en sommes pas sûrs. Nous ne savons pas si les hommes trouvés dans les sépultures que nous fouillons sont représentatifs de toute leur société. Peut-être seuls les individus privilégiés étaient-ils inhumés avec leurs parures, tandis que les autres étaient simplement jetés dans l’eau. Mais ce ne sont que des hypothèses car aucune sépulture d’adulte du Magdalénien n’a encoré été mise à jour. Par contre, nous avons découvert de riches sépultures, contenant de beaux bijoux en ivoire, datant du Gravettien, une période que précède le Magdalénien. Mais il y avait beaucoup de variations, même au sein d’une même société. Ainsi, les rites funéraires d’Europe occidentale différaient-ils de ceux pratiqués à l’est du continent. »
Les néandertaliens, c’est votre spécialité. Étaient-ils tellement plus primitifs que les magdaléniens ?
« Cette image est issue de notre ignorance à leur sujet. Il est souvent dit que les néandertaliens étaient des opportunistes, ramassant leurs cailloux là où ils les trouvaient, contrairement à l’Homme moderne, qui cherchait parfois ses ressources à cent kilomètres de chez lui. Certains prétendent que les néandertaliens s’étaient spécialisés dans la chasse aux grands mammifères, comme les mammouths, les rhinocéros et les chevaux. Mais des recherches ont montré qu’ils mangeaient également des racines de nénuphars, peut-être en grandes quantités. C’étaient donc des omnivores, plutôt que des carnivores. En outre, leurs outils n'étaient pas vraiment conçus pour la chasse aux grands animaux, bien qu’ils l’aient évidemment pratiquée. »
Tuer un grand animal, ce n’est pas sans risque, surtout avec des armes simples. Comment les néandertaliens s'y prenaient-ils ?
« Pour avoir une idée de comment cela ce passait, nous pouvons observer comment les pygmées en Afrique chassent l'éléphant. Cet animal a la peau épaisse et dure, et donc difficilement pénétrable par les flèches. Mais les pygmées connaissent un point faible : son anus. La cible atteinte, l’éléphant se traîne pendant quatre ou cinq jours, jusqu’à ce qu’il s’effondre. C'est ainsi que les pygmées peuvent maîtriser ce colosse après l'avoir suivi tout ce temps. »
Donc, vous croyez que les néandertaliens faisaient de même ?
« En fait, non. D’ailleurs les mammouths possédaient un clapet anal : un élargissement triangulaire de la peau au-dessus de la queue, couvert de poils. Nous le savons grâce aux cadavres de mammouth conservés dans le permafrost sibérien. Ce clapet anal protégeait les intestins du mammouth contre le froid.
Mais il est très probable que les Hommes préhistoriques aussi blessaient d’abord leur proie, puis suivaient les traces de sang afin d’abattre l’animal trop épuisé pour fuir. »
Les néandertaliens avaient des armes encore primitives. Pourrait-on dire que les magdaléniens de Lascaux étaient plus avancés ?
« Je doute que ‘avancés’ soit le terme juste. Ils étaient différents. C’est comme se demander si les Boschiman d’Afrique ou les Yukaghir de Sibérie sont moins avancés que nous. Mais c'est vrai, les magdaléniens fabriquaient des armes qui leur permettaient d’atteindre des animaux plus éloignés. En outre, ils élevaient des chiens, ce qui constitue une énorme avancée par rapport à une société qui ne pratique pas un tel élevage. »
« À mon avis, les chiens préhistoriques servaient surtout pour le transport », explique Mietje Germonpré. Cette paléontologue est connue pour ses recherches sur la domestication des chiens préhistoriques. Elle a notamment étudié le crâne d’un chien d’environ 36 000 ans, découvert dans la grotte de Goyet, près de Namur. « Chez les Inuits et les Indiens d’Amérique, les chiens jouent encore un rôle important en tant que bêtes de somme. Mais les Hommes de Lascaux n’utilisaient pas de traîneaux, puisque ceux-ci n’ont très probablement été inventés qu’après les glaciations. Je suppose que les chiens préhistoriques n’étaient pas non plus de vrais chiens de chasse, la chasse étant une affaire particulièrement difficile. »
Qu’en est-il du cliché de l’homme chasseur et la femme cueilleuse de baies ?
« C’est probablement vrai. Chez les chasseurs-cueilleurs, les hommes chassaient et les femmes cherchaient des tubercules ou des baies. Comme je viens de le dire : la chasse, ce n’est pas du tout une sinécure. Des recherches ethnographiques montrent que les meilleurs chasseurs ont environ quarante ans. Un chasseur accompli doit avoir vingt à trente ans d’expérience. Entre les grossesses, les soins aux enfants, la recherche de baies et tubercules…, les femmes ne pouvaient simplement pas accumuler cette expérience. De temps en temps, elles assistaient probablement à une chasse à courre, mais généralement la chasse était le domaine des hommes. »
Quelles parties des animaux tués utilisaient-ils ?
« Toutes : la viande, la graisse, la moelle, la cervelle… La viande du gibier étant très maigre, ils recherchaient surtout la graisse et cassaient les os pour la moelle. Ils utilisaient également des parties non comestibles : la fourrure pour les vêtements, ou le cuir pour les chaussures et les parois des tentes. Et ils fabriquaient des cordes à partir des ligaments et des nerfs. »
Une dernière question : Les Hommes modernes ont-ils exterminé les mammouths ?
« Ça se discute encore. L’extinction des mammouths serait-elle due à une chasse excessive ou au réchauffement du climat ? En tout cas, ce dernier leur rendait la vie difficile. Mais les glaciations antérieures se sont également terminées par des réchauffements, auxquels les mammouths ont survécu. Donc, l’Homme a sans doute aggravé la situation.
La plupart des mammouths étaient éteints à la fin de la dernière glaciation. Les derniers ont survécu sur quelques îles de l’Océan antarctique, jusqu’à l’époque des pharaons.Cette population insulaire florissait sur les plans génétique et écologique. Mais elle a tout de même disparu soudainement, pendant une période climatique relativement stable. L’extinction des derniers mammouths serait donc également due à l’Homme. »
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Interview: Isaac Demey
L’exposition Lascaux se poursuit jusqu’au 12 mars 2015 au Musée du Cinquantenaire. Le 7 mai, notre Muséum des Sciences naturelles ouvrira sa Galerie de l’Homme, une nouvelle salle permanente sur notre évolution et notre corps. Regardez aussi l'interview de notre archéologue Laurence Cammaert sur l'exposition Lascaux et la future Galerie de l'Homme.