22 espèces ajoutées à la liste européenne des espèces exotiques envahissantes

14/07/2022
Cerf axis (Axis axis) (Image : Shutterstock)

Une troisième mise à jour de la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union européenne (la liste de l’Union) a été publiée au Journal officiel de l'Union européenne le 13 juillet 2022. Cette mise à jour ajoute 22 nouvelles espèces, végétales et animales, à la liste européenne, qui comprenait déjà 66 espèces. Les États membres de l'UE doivent limiter l'impact négatif de ces espèces dans la mesure du possible. Certaines de ces espèces sont encore absentes ou très rares en Europe, mais leur introduction et leur propagation pourraient causer des dommages environnementaux importants. Dans ce contexte, la prévention, l'intervention rapide et la gestion sont cruciales.

 

Espèces exotiques envahissantes

Les espèces exotiques envahissantes, aussi appelées espèces invasives, sont des espèces capables d’établir des populations pérennes et autonomes en dehors de leur aire d’origine suite à une intervention humaine et qui constituent une menace importante pour la biodiversité, et potentiellement les services écosystémiques (comme la production végétale, la purification de l’eau ou la pollinisation), la santé humaine et l’activité économique.

De nombreuses activités humaines peuvent entraîner la propagation d’espèces en dehors de leur aire naturelle. Ces introductions peuvent se produire de manière intentionnelle ou non. Parmi les mécanismes importants, citons le commerce de plantes et d'animaux qui peuvent s'échapper et s'établir dans leur nouvel environnement, le transport à travers le monde (par voie terrestre, maritime ou aérienne) de produits dans lesquels des passagers clandestins peuvent être présents, et la dispersion naturelle d'espèces le long d'infrastructures telles que les routes et les canaux. Parfois, les vacanciers ramènent des plantes ou des animaux exotiques chez eux, tandis que les éleveurs et les chasseurs sont également connus pour transporter délibérément des espèces exotiques d'une région à l'autre.

Cependant, toutes les espèces qui arrivent dans un nouvel environnement de l'une ou l’autre de ces manières ne parviennent pas à établir des populations viables, et encore moins à poser des problèmes aux espèces indigènes. Environ 10 à 15 % des espèces exotiques arrivant en Europe deviennent envahissantes et localement surabondantes, souvent parce que les prédateurs ou les parasites qui les régulent normalement sont absents de leur nouvel environnement. Lorsque c'est le cas, leur impact négatif peut être dû, par exemple, à la prédation sur les espèces indigènes, à la concurrence pour la nourriture, l'eau, la lumière ou les sites de reproduction ou à la propagation de maladies, et entraîner une dégradation de l'environnement. Ce n'est que dans ces cas que l'on parle d'invasions biologiques et que les nouveaux arrivants sont qualifiés d'espèces exotiques envahissantes.

Agir contre les espèces préoccupantes pour l’UE

Comme les espèces exotiques envahissantes ne respectent pas les frontières administratives et que leur impact peut être grandement atténué par une action concertée au-delà des frontières nationales, l'Union européenne a publié en novembre 2014 un règlement sur les espèces exotiques envahissantes (Règlement (UE) n° 1143/2014). Ce règlement établit un cadre d'action coordonné à l'échelle de l'UE pour prévenir, minimiser et atténuer les impacts négatifs des espèces exotiques envahissantes sur la biodiversité et les services écosystémiques, et limiter leurs dommages à l'économie et à la santé humaine. La liste européenne des espèces exotiques envahissantes est l'élément central du règlement. Jusqu'à maintenant, 66 espèces étaient déjà inscrites sur cette liste.

On peut distinguer trois types de mesures principales, qui concernent la prévention de l'introduction de nouvelles espèces exotiques envahissantes, la mise en place de mécanismes de détection précoce et de réaction rapide, et la gestion des espèces déjà établies. La gestion devenant beaucoup plus complexe et coûteuse lorsqu'une espèce exotique envahissante est largement répandue, la prévention de l'introduction de nouvelles espèces ou de leur propagation sur le territoire est la mesure la plus efficace. Les États membres sont chargés de faire respecter une série d'obligations pour chacune des espèces répertoriées, notamment l'interdiction d'importation et de commercialisation, l'interdiction de détention et d'élevage, l'interdiction d'introduction dans la nature, l'obligation de surveiller les populations et de les éradiquer ou les gérer.

22 nouvelles espèces

Lors du vote du 19 mai 2022, les États membres de l’UE ont accepté d'ajouter 22 espèces à la liste européenne des espèces exotiques envahissantes. Quelques chiffres et information clés :

  • 17 animaux (2 mammifères, 1 oiseau, 1 reptile, 1 amphibien, 6 poissons, 4 insectes, 1 crustacé, 1 mollusque) et 5 plantes dont 1 algue ;
  • 3 espèces de milieux marins ou saumâtres, 9 de milieux d'eau douce et 11 espèces terrestres ;
  • Au total, 11 espèces pourraient s'établir en Belgique dans les conditions climatiques actuelles, dont 3 sont déjà établies (la renouée à épis nombreux, le célastre asiatique, et le xénope lisse). Dans les conditions climatiques futures, 5 autres espèces pourraient s'établir, dont 1 a déjà été observée à l'état sauvage en Belgique (la laitue d’eau). 6 autres ne peuvent pas s'établir à l'état sauvage en Belgique (principe de solidarité entre les États membres en vertu du Règlement européen – e.g. cela veille à ce qu'une espèce invasive ne puisse pas être achetée dans un pays, puis transportée dans un autre pays où elle pourrait poser des problèmes).
  • 6 espèces sont encore absentes d'Europe (e.g. la moule pygmée, trois des espèces de fourmis de feu du genre Solenopsis), mais ont été ajoutées à la liste pour assurer une vigilance accrue quant à leur apparition afin de prévenir les problèmes prévus si elles s'établissent.

Conséquences pour les citoyens et les commerces

La mise à jour de la liste de l'UE entrera en vigueur le 2 août 2022, et les nouvelles règles et restrictions commenceront à s'appliquer à partir de cette date. Cela ne signifie pas que le citoyen devra se débarrasser des animaux ou des plantes des espèces nouvellement listées qu’il possède, ni que ces organismes doivent tous être éradiqués. Les animaux peuvent, en effet, être gardés en captivité jusqu'à la fin de leur vie naturelle, avec toutefois quelques restrictions : ils ne doivent pas pouvoir se reproduire et, bien sûr, ils ne doivent pas pouvoir s'échapper. Les plantes des espèces nouvellement inscrites à la liste peuvent actuellement rester dans votre jardin, mais vous devrez veiller à ce qu'elles ne se propagent pas dans la nature.

Pour quatre espèces, l'inscription sur la liste de l'UE entrera en vigueur après une période de transition de 2 à 5 ans. Cela se justifie par l'utilisation des espèces pour la recherche scientifique (pour Xenopus laevis et Fundulus heteroclitus) ou pour tenir compte des investissements à long terme des pépiniéristes (pour Pistia stratiotes et Celastrus orbiculatus). Pour les autres espèces, les magasins peuvent encore vendre leur stock actuel jusqu'à un an après l'inscription des espèces à la liste.

 

Quelques exemples d'espèces

 

Cerf axis (Axis axis)

Le cerf axis est une espèce de cerf originaire des régions forestières de l'Inde, du Sri Lanka, du Bangladesh et du Népal. Historiquement, il a été introduit en Europe comme gibier et, aujourd'hui, l'espèce est à la fois utilisée pour sa viande et gardée comme animal de compagnie. Lorsque ses populations sauvages deviennent trop importantes, elles ont un impact sur la végétation locale, réduisent les sources de nourriture pour les herbivores indigènes et augmentent le risque d’érosion. Ils peuvent également être porteurs de maladies ou de parasites qui peuvent être transmis aux humains et au bétail. Actuellement, l'espèce n'est présente à l'état sauvage qu'en République tchèque, mais elle est détenue par des propriétaires privés et des parcs animaliers dans toute l'Europe, y compris en Belgique. L'évasion de captivité étant considérée comme la voie d'introduction la plus probable, l'inscription de l'espèce à la liste européenne devrait garantir que l'espèce ne s'établisse pas en Belgique.

 

Serpent roi de Californie (Lampropeltis getula) (Image : Shutterstock)

Serpent roi de Californie (Lampropeltis getula)

Le serpent roi de Californie est une espèce de serpent originaire d'Amérique du Nord qui est populaire dans le commerce des "nouveaux animaux de compagnie" (NAC). L'espèce a déjà été observée en Belgique à l'état sauvage de manière occasionnelle mais n'est généralement pas capable d'établir des populations viables - sauf dans certaines conditions très spécifiques, comme le long des voies ferrées. 

Néanmoins, elle est capable de s'établir dans la région méditerranéenne et est déjà présente aux Canaries sur l'île de Gran Canaria où elle décime la faune de reptiles indigènes. Ce serpent peut être une menace pour de nombreuses espèces européennes indigènes (amphibiens, reptiles, petits mammifères, ...) dont il se nourrit. C'est donc principalement sur la base du principe de solidarité au niveau européen que cette espèce est répertoriée afin d'empêcher son transport d'un pays à l'autre.

 

Laitue d’eau (Pistia stratiotes)
Laitue d’eau (Pistia stratiotes) (Image : Shutterstock)

Laitue d’eau (Pistia stratiotes)

La laitue d’eau est une plante aquatique flottante qui est souvent introduite dans les étangs et mares de jardin comme plante ornementale. Elle peut cependant former des tapis très denses à la surface des plans d’eau. Cette espèce pose un problème majeur car elle peut éradiquer la végétation aquatique indigène et créer des conditions anoxiques néfastes aux poissons et autres animaux aquatiques.

 

Elle est actuellement présente de manière occasionnelle en Belgique, mais n'est pas en mesure d'établir des populations viables car elle est sensible au gel. Il est cependant prévu qu'à l'avenir - avec le changement climatique - l'espèce sera capable de survivre à notre hiver et de s'établir chez nous.

 

Choquemort (Fundulus heteroclitus)

Le choquemort est un petit poisson vivant principalement dans les eaux saumâtres des marais salés, des estuaires et des habitats d'eau douce adjacents. C'est un poisson omnivore qui peut potentiellement affecter une multitude d'espèces indigènes et menacées dans différents types d'habitats. De plus, l'espèce peut tolérer des pollutions extrêmes et des conditions physiques étendues, ce qui en fait une espèce modèle pour la recherche scientifique. En Europe, c'est également un poisson populaire pour les aquariums et il est utilisé comme appât pour la pêche à la ligne, bien que ce type d’utilisation soit déjà interdit en Belgique. L’espèce ne pourra dorénavant plus être commercialisée en tant que poisson d'aquarium, mais des permis pourront encore être accordés dans des conditions strictes pour la recherche scientifique.

 

Xénope lisse (Xenopus laevis) (
Xénope lisse (Xenopus laevis) (Image : Shutterstock)

Xénope lisse (Xenopus laevis)

Le xénope lisse est un amphibien aquatique facile à élever en aquarium grâce à sa capacité de reproduction élevée et à sa résistance à la plupart des pathogènes. Il est souvent détenu comme animal de compagnie et utilisé comme animal de laboratoire, en Belgique comme dans de nombreux autres pays. Suite à des évasions, des populations viables se sont formées dans de nombreux climats différents montrant un comportement invasif. 

 

L’amphibien est un carnivore aquatique généraliste, prédateur d'invertébrés, d'amphibiens et de poissons. Une seule population établie est connue en Belgique depuis quelques années, dans la région de Comines-Warneton, juste à côté de la frontière française. Afin de s'assurer que l'espèce ne s'implante pas davantage en Europe, l'acquisition de nouveaux spécimens de xénope lisse ne sera plus autorisée après son inscription sur la liste - avec un délai de transition de deux ans afin que la communauté scientifique ait le temps de chercher des alternatives à cette espèce ou d'obtenir des permis de dérogation. 

Célastre asiatique (Celastrus orbiculatus)
Célastre asiatique (Celastrus orbiculatus) (Image : Shutterstock)
Poisson à tête de serpent (Channa argus)
Poisson à tête de serpent (Channa argus) (Image : Brian Gratwicke)

En Belgique, les compétences relatives à l'exécution du règlement de l'UE sur les espèces exotiques envahissantes (EEE) sont réparties entre les trois autorités régionales et l'État fédéral. Étant donné que les espèces exotiques envahissantes ne sont pas bloquées par les frontières administratives et que la plupart des dispositions prévues par le règlement de l'UE nécessitent un certain niveau de coordination pour garantir la cohérence et la sécurité juridique, les autorités compétentes ont signé en 2019 le premier accord de coopération belge en matière de conservation de la nature. Cet accord de coopération établit un Comité national sur les EEE, un Conseil scientifique national sur les EEE et le Secrétariat scientifique national sur les EEE.

Le Secrétariat scientifique national sur les espèces exotiques envahissantes (NSSIAS) est un organe scientifique chargé d'assurer l'expertise nécessaire à la mise en œuvre coordonnée du règlement européen sur les EEE (N° 1143/2014) en Belgique. Le NSSIAS est basé à l'Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique.