Des ailes de canards très prisées des chasseurs-cueilleurs

05/06/2023
Aile d'un colvert mâle, montrant le spéculum bleu irisé et coloré des rémiges secondaires. (Photo : RBINS)

Une étude menée sur des restes d’oiseaux de 31 000 ans, découverts dans les années 1960 sur un site archéologique du Hainaut, suggère que les chasseurs-cueilleurs de l’époque avaient un intérêt particulier pour les ailes de canards. Celles-ci ont fait l’objet de manipulations visant l’obtention d’ailes sèches ou la sélection d’un type d’os spécifique comme matière première pour l’artisanat, voire les deux.

Texte : Maloïse Frédérick
 

En 1966, les travaux d'élargissement du Canal du Centre à Maisières, près de Mons, ont mis au jour des traces d’une occupation humaine il y a 31 000 ans, une période attribuable aux prémices de la culture du Gravettien. Les fouilles menées sous la direction de Jean de Heinzelin, découvreur du bâton d’Ishango (Congo), avaient alors permis la découverte d’une riche collection de matériel archéologique dont de nombreux restes d’animaux comme le mammouth, le renne, le renard et différentes espèces d’oiseaux. Rien de surprenant, le site de Maisières-Canal se trouvait à proximité d’une rivière et constituait un point de chasse stratégique.

Des chercheurs de l'Institut royal des Sciences naturelles de Belgique et de l'Université de Liège ont été impliqués dans un projet de recherche international visant, entre autres, à réexaminer l’ensemble des restes d’animaux collectés à Maisières-Canal. Cette nouvelle étude a notamment permis de doubler le corpus initial d’os d’oiseaux (qui était composé d’une trentaine d’éléments), en passant en revue les esquilles osseuses non identifiées. Une observation détaillée de la surface des os a montré que plus de la moitié d’entre eux présentent des traces de modifications par l'Homme.

Les os étudiés représentent au moins dix-sept oiseaux appartenant à six espèces distinctes. Les individus de ces espèces sont fréquemment identifiés sur d'autres sites du Paléolithique supérieur et témoignent d’un climat assez froid et d’un environnement plutôt ouvert et humide : harfang des neiges, lagopède, grand corbeau, hibou des marais, probable pluvier argenté et canards. Ces derniers sont de loin les plus abondants et curieusement, tous les restes de canards identifiés sont des fragments de radius, un os de l’aile, aucun autre élément anatomique n’étant présent.

Une manipulation unique d’ailes de canards

Afin de mieux comprendre les actions ayant pu mener à l’accumulation de cet étrange assemblage de fragments de radius et les gestes responsables des traces d’outils observées, des découpes expérimentales de carcasses de canards à l’aide d’outils en silex ont été réalisées au TraceoLab de l’Université de Liège. Les résultats des expérimentations ont été comparés au matériel archéologique et permettent d’émettre deux hypothèses.
 

Mode de travail possible ayant conduit à l'accumulation des rayons de canard à Maisières-Canal et aux marques d'outils observées. (Photo : RBINS)
Mode de travail possible ayant conduit à l'accumulation des rayons de canard à Maisières-Canal et aux marques d'outils observées. (Photo : RBINS)

La première est que les chasseurs-cueilleurs ont souhaité produire des ailes séchées et que le radius a été spécifiquement retiré afin d’extraire un maximum de viande tout en préservant la rigidité de l’aile. Ceci permet de consommer la viande récoltée et d’éviter qu’elle pourrisse lorsque l’aile est mise à sécher.

Les ailes de canard séchées, aux plumes colorées irisées, ont pu constituer un élément décoratif, mais elles ont également pu jouer un rôle pratique. Par exemple, l'ethnographie montre que des chasseurs-cueilleurs modernes de Sibérie ont suspendu des ailes d’oies et de canards pour créer des « bâtons effaroucheurs ». En effet, les longues plumes servant au vol (rémiges) sont rigides chez ces oiseaux et produisent un son lorsqu’elles sont exposées au vent : avec plusieurs bâtons de ce type alignés, les rennes étaient dirigés à un endroit précis, où ils pouvaient ensuite être chassés. Rien ne permet toutefois d’affirmer une telle utilisation à partir des os d’oiseaux de Maisières-Canal.

L’autre possibilité est que le radius, étroit mais robuste, a été spécifiquement recherché comme matière première dans le cadre d’activités artisanales indéterminées, par exemple la production de perles. Cette hypothèse est soutenue par le fait que les radius ont été raclés assez intensivement, ce qui suggère un nettoyage intensif de l’os. Bien entendu, une hypothèse n’exclut pas l’autre.

Exemples de radius de canard de Maisières-Canal présentant des marques de coupe. (Photo : RBINS)
Exemples de radius de canard de Maisières-Canal présentant des marques de coupe. (Photo : RBINS)
Ossements de harfang des neiges avec modifications humaines, du site de Maisières-Canal. (Photos : RBINS ; dessin d'oiseau modifié d'après M. Coutureau, INRAP).
Ossements de harfang des neiges avec modifications humaines, du site de Maisières-Canal. (Photos : RBINS ; dessin d'oiseau modifié d'après M. Coutureau, INRAP).

Une exploitation diversifiée et intense des oiseaux

Outre l’utilisation des canards pour produire des ailes sèches ou de leurs radius pour l’artisanat sur le site de Maisières-Canal, les chercheurs ont pu observer une consommation de viande de lagopède et de harfang des neiges. Les os de cette dernière espèce ont également été utilisés pour l’artisanat afin de produire des tubes, dont certains ont été décorés par des incisions successives.

L’étude a été publiée dans la revue spécialisée International Journal of Osteoarchaeology.

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