L'huître plate européenne, de retour après avoir (jamais ?) disparu ?

Il y a longtemps, l’huître plate était omniprésente dans le sud de la mer du Nord. Mais à cause de la surpêche, de la pollution et des maladies, cette espèce indigène a presque complètement disparu de notre pays. Aujourd’hui, certains signes montrent que l’huître plate a entamé une reprise prudente. Cela est démontré, entre autres, par sa découverte dans des endroits inattendus, comme des ports et des parcs éoliens en haute mer.
Kelle Moreau
Le fait que l’huître plate (Ostrea edulis) ait été retrouvée dans les eaux belges peut certainement être qualifié de extraordinaire. Après des décennies d'absence, les biologistes marins ont découvert ces dernières années des spécimens vivants et des coquilles vides d'huîtres plates sur toutes sortes d'infrastructures humaines, y compris des instruments scientifiques. On trouve désormais également des huîtres plates dans les zones portuaires telles que Zeebrugge et Ostende.
De plus, les structures installées en haute mer, comme les fondations en acier des éoliennes offshore, offrent de nouveaux habitats où les larves d’huîtres peuvent se fixer. Des spécimens vivants et des coquilles fraîches d'huîtres plates ont également été retrouvés échoués sur les plages de la zone côtière occidentale.
Francis Kerckhof et Thomas Kerkhove de l’équipe de recherche « Écologie et gestion de la mer » (MARECO) de l’Institut des Sciences naturelles résument les récentes découvertes dans un article paru dans « De Strandvlo », le magazine du Groupe de travail naturaliste pour la faune et la flore marines belges (Strandwerkgroep België), et examinent les explications possibles. Ce qui est marquant, c’est que les nouvelles découvertes semblent être au moins en partie d’origine sauvage. Un retour au rythme de la mer.

Pourquoi les ports et les parcs éoliens sont-ils intéressants pour les huîtres ?
Étonnamment, le port maritime moderne est devenu un habitat propice à certaines espèces qui vivaient autrefois dans des récifs naturels. Les structures solides telles que les murs de quai, les pontons, les postes d’amarrage et les épaves de navires fournissent des substrats durs auxquels les larves d’huîtres peuvent s’attacher. De plus, un ralentissement du flux marin se produit souvent dans les ports, ce qui facilite l’installation des larves. La qualité de l’eau s’est également considérablement améliorée au cours des dernières décennies.
L’histoire est similaire pour les parcs éoliens offshore. Sous l’eau, les fondations se transforment en récifs artificiels qui attirent la vie, des étoiles de mer, des ascidies, des moules et… des huîtres plates. Les structures sont à peine perturbées car la navigation et la pêche ne sont pas autorisées, tandis que des projets pilotes axés sur le rétablissement de l’huître plate garantissent davantage de larves dans l'eau. Il s’avère que c’est exactement ce dont une espèce comme Ostrea edulis a besoin pour reprendre sa place.
Une histoire de perte
L'huître plate a une histoire mouvementée en Belgique. Autrefois omniprésent dans le Sud de la mer du Nord, c'était une icône culinaire. Jusqu'au début du XXe siècle, les huîtres étaient récoltées en abondance dans les bancs naturels de la mer du Nord et affinées dans des fosses à huîtres sur la côte, y compris à Ostende (la fameuse Ostendaise). Mais en raison de la surexploitation, de la perte d’habitat, de la pollution et de l’introduction de maladies et du parasite de l’huître Bonamia ostreae, l’espèce a disparu de nos eaux.
Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’ostréiculture commerciale s’est tournée vers l’huître japonaise (Crassostrea gigas), plus facile à cultiver et moins sensible au parasite de l’huître. En conséquence, Ostrea edulis est tombée encore plus dans l’oubli, aussi en Belgique.

Pourquoi le retour est-il important ?
Francis Kerckhof : « La redécouverte de l'huître plate n'est pas seulement intéressante sur le plan culturel et historique, c'est avant tout une histoire écologique. Après tout, l'huître plate est un élément essentiel de l'écosystème marin. Filtreuse, elle contribue à la clarté de l'eau, et ses récifs offrent un habitat à d'innombrables autres espèces. Là où il y a des huîtres, la vie sous-marine prospère. De plus, l'huître plate est une espèce indigène, elle a naturellement sa place ici et son rétablissement peut contribuer à la régénération marine de la mer du Nord. »
Ce retour s’inscrit dans une tendance européenne plus large. Dans des pays comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays-Bas et la France, des programmes de réintroduction ont été lancés pour rétablir l’espèce, et des projets pilotes sont également en cours en Belgique, soutenus par des financements belges et européens.
Et maintenant ?
Pour les scientifiques, cette redécouverte est à la fois une opportunité et un défi. Pouvons-nous utiliser la surveillance et l’analyse ADN pour déterminer d’où viennent ces huîtres ? Sont-elles issues de populations reliques isolées, sont-elles arrivées par le transport maritime ou par les courants océaniques depuis des endroits où des projets de restauration sont en cours, ou bien encore les larves d’huîtres proviennent-elles d’une ostréiculture commerciale ?
Dans le même temps, ces nouvelles connaissances soulèvent également des questions politiques. Faut-il soutenir cette recolonisation naturelle ? Les ports ou les installations en haute mer peuvent-ils être conçus expressément comme des structures respectueuses des huîtres ? Et comment éviter de répéter les mêmes erreurs du passé, comme la surexploitation ou une protection insuffisante ?
Thomas Kerkhove : « Pour l'instant, le nombre d'huîtres plates est encore limité et il n'existe pas encore de populations importantes. Mais l'apparition spontanée d'Ostrea edulis à divers endroits est un signe encourageant. La mer nous montre que, si nous lui donnons sa chance, le rétablissement est possible. Dans ce contexte, chaque découverte sur la plage ou sur un quai est un petit rappel de la résilience de la nature. »