Petits mangeurs, grand impact : les suspensivores affectent le réseau trophique des parcs éoliens offshore

Les parcs éoliens offshore attirent une vie marine diversifiée. De nouvelles recherches montrent que la faune qui colonise les éoliennes influence également le réseau trophique marin. En particulier, l'augmen-tation des organismes suspensivores – tels que les moules, les amphipodes et les anémones qui extraient les particules alimentaires de l'eau – contribue à transférer le carbone plus rapidement et plus directement dans le réseau trophique.
Le secteur de l'énergie éolienne offshore poursuivra son développement afin de contribuer à l'atteinte des objectifs de réduction des émissions de CO₂ de l'UE. Si l'impact des parcs éoliens offshore sur la biodiversité locale est déjà largement connu, la question essentielle reste de savoir quelles conséquences ces changements auront sur le fonctionnement des écosystèmes marins dans leur ensemble.
« Nous avons collecté de nombreux échantillons dans la partie belge de la mer du Nord et au-delà afin de modéliser les réseaux trophiques des habitats naturels et artificiels », explique Emil De Borger (Université de Gand et NIOZ), chercheur principal de l'étude. « Cela nous a permis d'étudier en détail le fonctionnement de ces systèmes et de comparer les processus écologiques des sédiments mous à ceux qui entourent les éoliennes. »
Jan Vanaverbeke (Université de Gand et Institut des Sciences Naturelles), co-auteur de la nouvelle étude, souligne un autre point important : « Jusqu'à présent, la plupart des études sur les réseaux trophiques dans les parcs éoliens offshore reposaient sur des environnements simulés. Autrement dit, sur des parcs éoliens qui n'existent que dans des modèles scientifiques. Nous avons adopté une approche différente. Notre objectif était de développer des modèles de réseaux trophiques basés sur la réalité, en utilisant des données collectées dans de véritables parcs éoliens en exploitation. »
Les chercheurs ont utilisé des analyses des isotopes stables et des modèles pour comprendre et mesurer la circulation du carbone et de l'énergie dans le réseau trophique, du plancton aux poissons. Les résultats ont montré des différences frappantes entre les fonds sableux naturels et les parcs éoliens offshore.

Points chauds de la biodiversité
L'étude confirme que les structures récifales artificielles telles que les parcs éoliens offshore sont effectivement riches en espèces par rapport aux habitats à fonds mous environnants. Cependant, nombre de ces espèces présentent une biomasse très faible lorsqu'on les extrapole à l'échelle du parc éolien offshore, qui comprend de nombreux « espaces vides » entre les éoliennes.
Le véritable changement écologique réside dans la prolifération des suspensivores, des organismes tels que les moules, les amphipodes et les anémones, qui se fixent aux surfaces dures des turbines et se nourrissent en extrayant les particules organiques directement de la colonne d'eau. Les turbines favorisent ainsi une absorption plus directe du carbone et de l'énergie stockés dans les particules alimentaires dans le réseau trophique. Sur les fonds marins sableux, le carbone et l'énergie doivent souvent emprunter des chemins plus longs.
« Ces suspensivores agissent comme des pompes biologiques », explique De Borger. « Ils absorbent les particules riches en carbone de l'eau, les transforment et enrichissent les sédiments environnants en matière organique. Ce dépôt constitue à son tour de la nourriture pour les organismes vivant au fond, créant ainsi de nouvelles possibilités alimentaires dans un environnement par ailleurs pauvre en énergie. Ce sont ces nombreuses interactions entre une communauté d'espèces diversifiée qui contribuent à la productivité élevée du nouveau réseau trophique. »
Changement de régime alimentaire des poissons
L'un des résultats les plus marquants de l'étude concerne le régime alimentaire des poissons vivant à proximité des parcs éoliens. Les observations sur le terrain confirment des recherches antérieures suggérant que certaines espèces de poissons adaptent leur régime alimentaire à des proies particulièrement abondantes à proximité des éoliennes.
« Cela confirme l'idée que les parcs éoliens offshore ne sont pas de simples structures physiques », explique Ulrike Braeckman (Université de Gand et Institut des Sciences Naturelles), co-auteure. « Ils influencent activement le comportement des espèces, notamment les relations prédateur-proie. Certains poissons bénéficient clairement des sources de nourriture concentrées créées par les éoliennes. Il s'agit d'un écosystème construit qui influence les processus naturels. »
Comprendre ces changements dans les réseaux trophiques est crucial, non seulement pour la connaissance scientifique, mais aussi pour une gestion pratique. « Les réseaux trophiques nous renseignent sur la stabilité des écosystèmes, la biodiversité, et même sur notre approvisionnement alimentaire et notre bilan carbone », a ajouté Jan Vanaverbeke. « Alors que nous continuons d'accroître la capacité éolienne offshore, nous devons comprendre le fonctionnement de ces systèmes, tant pour protéger la vie marine que pour gérer durablement les océans. »

Énergies renouvelables et gestion des écosystèmes
L'étude souligne l'importance d'intégrer les connaissances écologiques dans la planification, la construction et le suivi des projets d'énergie renouvelable. Alors que l'Europe s'efforce d'accroître sa capacité éolienne offshore pour atteindre ses objectifs climatiques, ces résultats fournissent des indications précieuses sur la manière de concilier l'impact sur le milieu marin et l'objectif durable de la production d'énergie éolienne offshore.
Les chercheurs plaident en faveur d'une utilisation plus large des modèles basés sur des écosystèmes réels et soulignent la nécessité d'une surveillance à long terme pour suivre et comprendre l'évolution de la dynamique du réseau trophique et de la biodiversité au fil du temps. « Nos travaux montrent que les parcs éoliens peuvent améliorer certaines voies écologiques, mais il est essentiel de comprendre lesquelles et comment elles affectent le système dans son ensemble », explique Emil De Borger.
L'étude « Offshore wind farms modify coastal food web dynamics by enhancing suspension feeder pathways » est en libre accès et a été publiée dans Communications Earth & Environment par une équipe multidisciplinaire de chercheurs marins de l'Université de Gand (Groupe de recherche en biologie marine) et d'instituts marins de Belgique et des Pays-Bas (Institut des Sciences Naturelles ; Institut de recherche sur l'agriculture, la pêche et l'alimentation - ILVO ; Institut royal néerlandais de recherche sur la mer - NIOZ ; Wageningen Marine Research).