Des bactéries dans les ovaires d’ostracodes pourraient contrôler leur reproduction
Des chercheurs ont découvert, dans les cellules d’œufs d’ostracodes, des bactéries qui se transmettent de la mère à la descendance – un signe clair d’endosymbiose. Il s’agit de la bactérie Cardinium, qui vit au cœur des organes reproducteurs de ces petits animaux. « Nous voyons littéralement les bactéries dans les cellules des œufs », explique Isa Schön, biologiste de l’évolution à l’Institut des Sciences naturelles. « Cela fait de ces ostracodes un nouveau système modèle pour étudier la reproduction asexuée. »

Les ostracodes sont des crustacés minuscules, souvent d’à peine un demi-millimètre, qui vivent aussi bien en eau douce qu’en mer. Dans cette étude, il s’agit de trois espèces d’eau douce : Heterocypris incongruens, Herpetocypris cheveuxi et Eucypris virens. Les populations étudiées, se reproduisent de façon asexuée : les femelles n’ont que des filles, et ce sans mâles.
Les chercheurs ont découvert que la bactérie Cardinium vit à la fois dans les ovaires et dans les œufs de ces ostracodes. Ce type de bactéries est qualifié d’endosymbionte : elles vivent à l’intérieur des cellules ou du corps de leur hôte. Les bactéries sont transmises de la mère à la descendance via les cellules d’œufs, ce qui montre qu’il s’agit d’un partenaire stable et héréditaire.
« Pour de nombreux insectes, nous savons déjà que les endosymbiontes peuvent manipuler la reproduction, par exemple en tuant les mâles ou en déclenchant la reproduction asexuée », précise Schön. « Comme ces ostracodes sont eux aussi asexués, nous soupçonnons que Cardinium y joue un rôle. »
Microchirurgie
Pour pouvoir observer les bactéries, les chercheurs ont d’abord dû isoler les organes reproducteurs des animaux. C’est un travail de haute précision. « Imaginez : un ostracode mesure à peine un millimètre », explique Schön. « Notre collègue Koen Martens a réussi à extraire les ovaires d’un tel animal – et les cellules d’œufs sont encore bien plus petites. J’ai trouvé cela vraiment impressionnant. »
Les ovaires et les œufs ont ensuite été colorés à l’aide d’une technique spéciale (FISH, hybridation in situ en fluorescence). Les chercheurs utilisent alors un court fragment d’ADN marqué par un colorant fluorescent, qui se fixe spécifiquement à l’ADN de Cardinium. Au microscope confocal, les bactéries apparaissent comme de petits points colorés dans le tissu, ce qui permet de visualiser précisément leur position.
Des images en 3D montrent que les bactéries se trouvent réellement à l’intérieur des cellules d’œufs et s’y divisent. Elles sont surtout présentes dans les premiers stades de développement des cellules d’œufs dans les ovaires.
Des bactéries comme potentielles « chefs d’orchestre » de la reproduction asexuée
Des endosymbiontes tels que Cardinium et Wolbachia sont déjà connus comme « manipulateurs de la reproduction » chez les insectes et d’autres arthropodes : ils peuvent modifier le ratio mâles/femelles ou provoquer la parthénogenèse (reproduction asexuée).
Comme les ostracodes étudiés se reproduisent de manière asexuée et que Cardinium est présent dans leurs organes reproducteurs, les chercheurs soupçonnent que cette bactérie pourrait contribuer à orienter ce mode de reproduction. À l’avenir, on pourra le tester en éliminant les bactéries à l’aide d’antibiotiques et en observant si la reproduction change.
Tout petits crustacés, grandes questions
La parthénogenèse n’est pas seulement une curiosité de mare : la reproduction asexuée est aussi très fréquente auprès des plantes cultivées. Mieux comprendre le fonctionnement de ce mode de reproduction pourrait donc, à plus long terme, être pertinent pour l’agriculture et la sélection variétale.
Cette étude montre que les ostracodes d’eau douce sont les premiers hôtes entièrement aquatiques chez lesquels Cardinium a été démontré avec certitude comme endosymbionte. Ils constituent ainsi un nouvel organisme modèle pour étudier l’évolution de la reproduction et le rôle que jouent les partenaires bactériens.
Les résultats ont été publiés dans la revue Proceedings of the Royal Society B.