Des bactéries dans les ovaires d’ostracodes pourraient contrôler leur reproduction

11/12/2025
L’ostracode d’eau douce Heterocypris incongruens, l’un des minuscules crustacés chez lesquels la bactérie endosymbiotique Cardinium a été trouvée dans les ovaires et les œufs. (c) Jeroen Venderickx, Institut des Sciences naturelles

Des chercheurs ont découvert, dans les cellules d’œufs d’ostracodes, des bactéries qui se transmettent de la mère à la descendance – un signe clair d’endosymbiose. Il s’agit de la bactérie Cardinium, qui vit au cœur des organes reproducteurs de ces petits animaux. « Nous voyons littéralement les bactéries dans les cellules des œufs », explique Isa Schön, biologiste de l’évolution à l’Institut des Sciences naturelles. « Cela fait de ces ostracodes un nouveau système modèle pour étudier la reproduction asexuée. »

Siska Van Parys

Les ostracodes sont des crustacés minuscules, souvent d’à peine un demi-millimètre, qui vivent aussi bien en eau douce qu’en mer. Dans cette étude, il s’agit de trois espèces d’eau douce : Heterocypris incongruens, Herpetocypris cheveuxi et Eucypris virens. Les populations étudiées, se reproduisent de façon asexuée : les femelles n’ont que des filles, et ce sans mâles.

Les chercheurs ont découvert que la bactérie Cardinium vit à la fois dans les ovaires et dans les œufs de ces ostracodes. Ce type de bactéries est qualifié d’endosymbionte : elles vivent à l’intérieur des cellules ou du corps de leur hôte. Les bactéries sont transmises de la mère à la descendance via les cellules d’œufs, ce qui montre qu’il s’agit d’un partenaire stable et héréditaire.

« Pour de nombreux insectes, nous savons déjà que les endosymbiontes peuvent manipuler la reproduction, par exemple en tuant les mâles ou en déclenchant la reproduction asexuée », précise Schön. « Comme ces ostracodes sont eux aussi asexués, nous soupçonnons que Cardinium y joue un rôle. »

Microchirurgie

Pour pouvoir observer les bactéries, les chercheurs ont d’abord dû isoler les organes reproducteurs des animaux. C’est un travail de haute précision. « Imaginez : un ostracode mesure à peine un millimètre », explique Schön. « Notre collègue Koen Martens a réussi à extraire les ovaires d’un tel animal – et les cellules d’œufs sont encore bien plus petites. J’ai trouvé cela vraiment impressionnant. »

À gauche : ovaire complet de Heterocypris incongruens. Les points jaunes indiquent des signaux pour les bactéries en général (donc pas seulement Cardinium). (c) Jessica Mark Welch, Koen Martens et Isa Schön. À droite : gros plan sur l’ostracode d’eau douce Heterocypris incongruens, un minuscule crustacé dont les cellules œuf abritent la bactérie endosymbiotique Cardinium. (c) Jeroen Venderickx, Institut des Sciences naturelles

 

Les ovaires et les œufs ont ensuite été colorés à l’aide d’une technique spéciale (FISH, hybridation in situ en fluorescence). Les chercheurs utilisent alors un court fragment d’ADN marqué par un colorant fluorescent, qui se fixe spécifiquement à l’ADN de Cardinium. Au microscope confocal, les bactéries apparaissent comme de petits points colorés dans le tissu, ce qui permet de visualiser précisément leur position.

Des images en 3D montrent que les bactéries se trouvent réellement à l’intérieur des cellules d’œufs et s’y divisent. Elles sont surtout présentes dans les premiers stades de développement des cellules d’œufs dans les ovaires.

 

Bactéries Cardinium dans le tissu ovarien de trois espèces d’ostracodes d’eau douce. Les ovaires disséqués ont été colorés avec des sondes ADN : l’une marque toutes les bactéries et l’autre marque spécifiquement le genre Cardinium. On voit un ovaire complet pour Heterocypris incongruens, tandis que seules des parties des ovaires de Eucypris virens et Herpetocypris chevreuxi sont montrées. (c) https://doi.org/10.1098/rspb.2025.1193

Des bactéries comme potentielles « chefs d’orchestre » de la reproduction asexuée

Des endosymbiontes tels que Cardinium et Wolbachia sont déjà connus comme « manipulateurs de la reproduction » chez les insectes et d’autres arthropodes : ils peuvent modifier le ratio mâles/femelles ou provoquer la parthénogenèse (reproduction asexuée).

Comme les ostracodes étudiés se reproduisent de manière asexuée et que Cardinium est présent dans leurs organes reproducteurs, les chercheurs soupçonnent que cette bactérie pourrait contribuer à orienter ce mode de reproduction. À l’avenir, on pourra le tester en éliminant les bactéries à l’aide d’antibiotiques et en observant si la reproduction change.
 

Chercheur Koen Martens en train de récolter des ostracodes à Cape Cod. (c) Institut des Sciences naturelles

Tout petits crustacés, grandes questions

La parthénogenèse n’est pas seulement une curiosité de mare : la reproduction asexuée est aussi très fréquente auprès des plantes cultivées. Mieux comprendre le fonctionnement de ce mode de reproduction pourrait donc, à plus long terme, être pertinent pour l’agriculture et la sélection variétale.

Cette étude montre que les ostracodes d’eau douce sont les premiers hôtes entièrement aquatiques chez lesquels Cardinium a été démontré avec certitude comme endosymbionte. Ils constituent ainsi un nouvel organisme modèle pour étudier l’évolution de la reproduction et le rôle que jouent les partenaires bactériens.

Les résultats ont été publiés dans la revue Proceedings of the Royal Society B.

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