Les premiers grands arbres versus la sécheresse

17/05/2023
Observation microscopique d'une coupe de bois fossile du Dévonien contenant des tyloses (flèches) produites par des cellules de parenchyme (P) à l'intérieur d'une cellule conductrice (C) ; échelle : 0,05 mm (50 µm). Photos : A-L Decombeix.

Des paléobotanistes ont découvert des fossiles en Irlande montrant que les plantes s'étaient adaptées très tôt à la sécheresse.

Les plantes peuvent protéger leur bois de la propagation de bulles d'air (embolie) et des agents pathogènes en formant des structures appelées "tyloses". C’est ce qu’une équipe internationale vient de mettre en évidence sur un bois fossile daté de la fin du Dévonien, il y a 360 millions d’années. Cette découverte - à laquelle a participé l’EDDYlab de l’Liège et l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique - publiée dans la revue Nature Plants, permet de mieux comprendre l’histoire évolutive de ce mécanisme de défense et la biologie des premiers arbres ligneux.

Protection contre la sécheresse

 

Le registre fossile est une source inestimable d’informations sur les écosystèmes du passé. Parfois, de manière surprenante, un détail minuscule permet de comprendre des aspects importants de la biologie d’un organisme et de son écosystème. C’est ce qui s’est passé pour une équipe de chercheurs belges, français, irlandais et allemands, menée par la Dr Anne-Laure Decombeix, paléobotaniste au Laboratoire AMAP (Université de Montpellier).

 

Ils viennent de mettre au jour un mécanisme très élaboré de protection contre la sécheresse sur des plantes datant du Dévonien (360 millions d’années) en étudiant des fossiles récoltés dans le sud-est de l’Irlande. Ce phénomène, appelé tylose, provient de la formation de thylles - des excroissances de cellules parenchyme dans le bois - qui peuvent boucher complètement certaines cellules conductrices et protéger ainsi le reste du bois contre la propagation de pathogènes ou de bulles d’air.

Cyrille Prestianni, paléontologue de l’Insitut royal des Sciences naturelles et de l’ULiège, a contribué à collecter, à dater et à étudier de nombreux exemplaires de Callixylon, cette plante fossile mise au jour. « Les fossiles ont été collectés à l’automne 2021 et ont ensuite été envoyés à Montpellier où ils ont été préparés grâce à une technique spécialement mise au point pour ce travail. Cette technique permet d’observer des plantes fossiles de manière très détaillée ».

Éviter le pire

 

Observation microscopique d'une coupe de bois fossile du Dévonien contenant des tyloses (flèches) produites par des cellules de parenchyme (P) à l'intérieur d'une cellule conductrice (C) ; échelle : 0,05 mm (50 µm). Photos : A-L Decombeix.

Callixylon est particulièrement importante puisqu’elle fait partie du groupe aujourd’hui disparu (les archaeopteridales) qui, au Dévonien, a été l’un des premiers groupes à former des arbres de grande taille. Ces plantes se reproduisaient par spores – comme les fougères aujourd’hui – mais produisaient du bois ressemblant à celui des gymnospermes actuelles (un sous-embranchement, presque uniquement formé, de nos jours, par les conifères : pins, cyprès, genévriers, etc.). 

C’est en étudiant en détail l’organisation de ce bois que les chercheurs ont pu mettre en évidence la présence d’une structure tout à fait particulière appelée tylose. Ces structures, résultantes du développement des cellules parenchymateuses dans une cellule conductrice d’eau adjacente, permettent à la plante de palier à un de ses points faibles, le risque d’embolie.

Ainsi, ces premiers grands arbres étaient déjà capables de survivre à des périodes de sécheresse. Lors de la transition entre le Dévonien et le Carbonifère, la deuxième extinction de masse s'est produite sur notre planète. Bien qu'on n'en connaisse pas encore les causes et l'ampleur, il est clair que la vie marine a énormément souffert. Ce projet de recherche tente à présent de déterminer dans quelle mesure l'extinction a également été ressentie sur la terre ferme.

 

Nous voyons ici les premières forêts à l'œuvre

- Cyrille Prestianni (Institut des Sciences naturelles) -

« Cette découverte est exceptionnelle à plus d’un titre. Premièrement, du fait du niveau de préservation tout à fait remarquable du fossile et du degré de détail qui peut y être observé. Deuxièmement, par le fait que les auteurs puissent mettre en évidence les détails du fonctionnement des plus anciennes forêts que la terre ait connues », explique Cyrille Prestianni.

Cette étude illustre ainsi comment les fossiles peuvent fournir des informations détaillées concernant certains processus physiologiques même anciens de plusieurs centaines de millions d’années. Ce type d'information nous permet de comprendre les plantes fossiles comme des organismes autrefois vivants et de retracer l’origine profonde de processus biologiques clés qui existent encore aujourd’hui.

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