Des cannibales ont ciblé des femmes et des enfants néandertaliens

26/11/2025
 
Restes humains néandertaliens de la Troisième caverne de Goyet, près de Namur. Les os, fortement fragmentés, présentent des traces caractéristiques de fracturation et de percussion sur os frais, témoignant d’un traitement intentionnel des corps. Les individus (GNx, pour « Goyet Neandertal » x), au nombre minimal de six, ont été identifiés par analyses génétiques : XX indique un sexe féminin et XY un sexe masculin. (Photo: Institut des Sciences naturelles)


Des ossements de Néandertaliens provenant des grottes de Goyet (Province de Namur) présentent des traces de cannibalisme. Une étude de 2016 l'avait déjà démontré, mais il apparaît maintenant que toutes les victimes étaient des femmes et des enfants. De plus, elles ne provenaient pas de la région de Goyet, mais y ont été amenées, puis consommées. Les résultats suggèrent des possibles conflits entre groupes humains en Europe du Nord entre 45 000 et 41 000 ans, une région et une période où les populations néandertaliennes s'amenuisaient et où Homo sapiens devenait plus dominant.  
 

Les grottes de Goyet près de Namur, fouillées par Edouard Dupont au XIXe siècle, ont livré la plus importante collection de Néandertaliens d'Europe du Nord. À ce moment-là, Dupont ne le savait pas encore. « Les 101 restes osseux d'au moins six individus n’ont été reconnus que récemment », explique Patrick Semal, conservateur des collections anthropologiques de l'Institut des Sciences naturelles. « Une étude de 2016 a montré qu'un tiers des os - principalement des membres inférieurs - présentent des traces de cannibalisme : stries de découpe, entailles et/ou impacts circulaires. Ces dernières traces sont des impacts pour briser l'os afin d’en extraire la moelle, un tissu mou très calorique. » 

Le fait que les restes néandertaliens aient été traités de manière similaire aux restes animaux retrouvés dans la grotte suggère que les habitants locaux pratiquaient le cannibalisme alimentaire. Le cannibalisme rituel existe également et a été constaté chez les Néandertaliens et Homo sapiens. Dans ce cas, les os sont beaucoup moins travaillés et brisés.

Des femmes graciles et venues d'ailleurs

Les restes sont fortement fragmentés et le contexte archéologique des fouilles fait défaut. Mais en combinant génétique, analyse isotopique et étude détaillée de la morphologie, l'équipe de recherche a pu dresser un portrait biologique des individus cannibalisés. Une analyse de leur ADN nucléaire montre que les quatre victimes adultes ou adolescentes étaient des femmes. Les deux enfants - un nourrisson et un enfant entre 6,5 et 12,5 ans - étaient de sexe masculin. Les quatre femmes appartiennent à des lignées maternelles différentes.

« La composition - femmes et enfants, sans hommes adultes - ne peut être fortuite : elle reflète une sélection délibérée des victimes par les cannibales », explique Isabelle Crevecoeur, directrice de recherche au CNRS et co-auteure de l'étude. De plus, l'analyse des isotopes de soufre des os montre que les individus provenaient d'une autre région. En effet, le soufre est stocké dans les os et les dents via l'alimentation et l'eau potable. La composition isotopique de cet élément varie selon les régions, notamment sous l'influence du sol et des roches. « Le fait que les femmes et enfants cannibalisés venaient d'ailleurs indique un 'exocannibalisme' : la consommation d'individus appartenant à un ou plusieurs groupes extérieurs. » 
 
Les victimes féminines étaient particulièrement graciles : l'analyse de la structure interne des os longs fragmentés révèle que les fémurs et les tibias des femmes cannibalisées étaient beaucoup moins robustes que ceux des Néandertaliens d'autres sites. Combiné à leur petite stature - estimée à environ 1,50 mètre - cela renforce l'hypothèse que des individus spécifiques étaient ciblés.

Conflits ?

Tous ces indices conduisent à penser que ces femmes et enfants néandertaliens venus d'ailleurs ont été amenés à Goyet et consommés. Ce type de comportement est déjà observé chez les chimpanzés. Il a pour but d'affaiblir une population voisine ou d'affirmer un contrôle territorial. Le cannibalisme existe également lors de conflits entre groupes humains est bien documenté en ethno-archéologie. 
 
« Le site de Goyet donne matière à réflexion », dit Patrick Semal. « Les résultats indiquent de possibles conflits entre groupes à la fin du Paléolithique moyen, une période où les groupes néandertaliens s'amenuisent et où Homo sapiens est en pleine expansion en Europe du Nord. Nous ne pouvons exclure que les cannibales étaient des Homo sapiens, mais nous pensons plutôt qu'il s'agit de Néandertaliens. En effet, certains des os fragmentés ont également été utilisés pour retoucher des outils en pierre, et cette pratique est connue principalement chez les Néandertaliens. » 
  
The study is published in Scientific Reports.
 

Entrée des Grottes de Goyet, près de Namur (Photo: A.C. Pottier)

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