Un placoderme vieux de 400 millions d'années révèle comment les les premières dentitions se sont structurées

17/09/2025
Romundina, a placoderm or armoured fish from the Early Devonian. (Artist's impression: Apokryltaros, Wikimedia Commons)


Un placoderme vieux d'environ 400 millions d'années du Canada nous offre un aperçu des tout premiers débuts de l'évolution des dents : des plaques dentaires attachées au palais avec de petites dents qui poussaient dans toutes les directions. « C'est un modèle d’organisation que nous ne connaissions pas et qui pourrait correspondre au modèle ancestral de tous les vertébrés à mâchoires », déclare le paléontologue Sébastien Olive de l'Institut des Sciences naturelles et de l’Université de Liège.

Reinout Verbeke


Pour comprendre l'évolution des dents, nous devons remonter au début du Dévonien, il y a environ 400 millions d'années, quand l'Amérique du Nord et l'Europe formaient encore un seul continent situé juste sous l'équateur. Dans pratiquement tous les océans de cette époque nageaient des poissons cuirassés, sous toutes sortes de formes et de tailles. Les poissons cuirassés ou placodermes constituent le groupe-frère éteint des poissons cartilagineux (requins et raies) et des poissons osseux (tous les autres poissons, y compris les tétrapodes dont nous faisons partie). La tête et le thorax des poissons cuirassés étaient typiquement recouverts de plaques osseuses. Dunkleosteus est peut-être le plus emblématique : long d'environ quatre mètres et super-prédateur à cette époque. Les placodermes sont les premiers vertébrés à avoir développé des mâchoires.

On a longtemps pensé que les placodermes n'avaient pas de dents sur leurs mâchoires, et que les dents n'avaient évolué que bien plus tard. Mais depuis 2012, les paléontologues ont trouvé chez différents groupes de placodermes de véritables dents. Les mâchoires et les dents se seraient donc développées approximativement en même temps.

Les dents des placodermes

Mais comment ces dents poussent-elles ? Une étude de 2020 avait conclu que les nouvelles dents des placodermes, présentes sur différents os de la joue, apparaissaient toujours à l'arrière de la bouche, donnant ainsi une rangée de dents usées à l'avant et intactes à l'arrière. Ces modèles de croissance correspondent également à ce que l’on trouve chez les poissons cartilagineux et osseux et il a donc été avancé que ce modèle serait à la base de tous les animaux à mâchoires. Mais la nouvelle étude, sur un placoderme du Canada, conteste maintenant cela : les dents ne poussaient pas seulement depuis l'arrière mais dans toutes les directions, et non pas seulement sur des os de la joue mais également sur des plaques osseuses collées au palais. C’est une dentition étrange qui apporte de nouvelles informations sur l’histoire évolutive des dents et de leur mise en place.

C'est à ces conclusions qu'arrive une équipe de recherche internationale incluant le paléontologue Sébastien Olive (Institut des Sciences naturelles, Université de Liège). Ils ont analysé les restes fossiles d'un placoderme qui a été trouvé en 1995 par une équipe franco-canadienne sur l'île Prince of Wales, dans le nord du Canada. C'est une nouvelle espèce, baptisée Romundina gagnieri.

A. Le fossile montrant les plaques dentaires attachées au palais. La partie supérieure dépassait de la bouche, tandis que les deux plaques en dessous se trouvaient encore à l’intérieur de la bouche. B. Agrandissement de la zone d’intérêt montrant les deux plaques (en rouge) avec des dents dessus, disposées de manière concentrique. Les deux barres d’échelle représentent 1 cm. (Photo : Institut des Sciences naturelles)



Le spécimen a été scanné sous tous les angles par rayons X dans un synchrotron en Suisse, puis un modèle 3D a été créé. C'est une technique intéressante pour regarder à l'intérieur d'un spécimen, sans avoir à le détruire. Les paléontologues concluent que les dents poussaient sur des plaques osseuses attachées au palais et selon un modèle circulaire, comparable aux anneaux d'un arbre. Les dents qui poussaient en premier se trouvaient au centre et les suivantes autour. L’analyse synchrotron a même permis de mettre en évidence d'autres structures minéralisées (dont l’origine est inconnue) qui sont venues recouvrir certaines des dents et qui ont probablement aidé l’animal de son vivant à broyer des aliments très durs.

Un changement décisif

Le spécimen étudié appartient à un groupe de placodermes appelés acanthothoracides. Il est intéressant de noter que la même organisation dentaire a également été trouvée chez un autre groupe de placodermes, les arthrodires, groupe auquel appartient également l'emblématique Dunkleosteus. Nous pouvons dès lors formuler l’hypothèse que l'ancêtre commun des deux groupes de placodermes avait peut être également un tel appareil dentaire dans la bouche.

« Nous regardons donc ici une des premières étapes de l'évolution des dents », dit Sébastien Olive. « Les poissons cuirassés ne sont pas seulement les premiers vertébrés à présenter des mâchoires, ce sont aussi les premiers vertébrés à montrer différents modèles d’organisation dentaire. Mordre et mâcher avec des dents a été un facteur de changement décisif. Cela a permis à nos lointains ancêtres d'exploiter de nouvelles sources de nourriture et d'occuper de nouvelles ressources écologiques. »

L'étude est publiée dans la revue scientifique Royal Society Open Science.
 

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